Partagés entre État, via l’ARS, et Départements, tous deux financeurs des établissements, les garde-fous existants ont montré leurs limites.
Suit-on correctement l’activité des plus de 7 400 Ehpad du territoire, 800 en Occitanie ? Parce qu’elle porte sur un groupe qui en gère plusieurs centaines, l’affaire Orpea a dépassé les dénonciations éparses qui ont pointé des établissements et leurs pratiques, précédemment. Et interroge sur la qualité, la fréquence, la réalité du contrôle exercé par la puissance publique pour protéger des personnes fragiles.
“Personne ne vient de temps en temps voir comment ça se passe”, dit cette directrice. “Il devrait y avoir des visites inopinées, comme les services vétérinaires en font pour la cuisine. Il n’y a pas de contrôle, hors sur nos comptes que l’on doit rendre annuellement”, observe cet autre gestionnaire.
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L’an passé, le Département de l’Hérault a conduit “une dizaine d’inspections”, indique son directeur de l’offre médico-sociale, Frédéric Dhivert, pour 150 Ehpad recensés. Des déplacements “conjoints de l’Agence régionale de santé et nous dans 99 % des cas”, après des signalements de résidents ou de familles. “Nous ne prévenons jamais”, clame Frédéric Dhivert, “on ne laisse jamais une réclamation sans réponse”, martèle le directeur de l’ARS Occitanie, Pierre Ricordeau.
Action en justice : Orpea, mais pas uniquement
“Homicide involontaire, mise en danger délibérée de la vie d’autrui, violence par négligence, non-assistance à personne en danger” : ces motifs sont ceux, peut-être alourdis de nouveaux dans les prochaines semaines, de l’action collective que prépare l’avocate parisienne Sarah Saldmann. Une démarche qu’elle envisage “pour début mars, repoussée un tout petit peu si j’en ai plus (de victimes désireuses d’agir, NDLR) que prévu.”
Elle peut “à peine toucher à ma boîte mail, mon secrétariat est saturé d’appels” depuis que la jeune femme a partagé son intention de saisir la justice pour le compte de plusieurs familles de résidents de maisons gérées par Orpea. Certains de ces dossiers lui sont parvenus lors du premier confinement. Des plaignants qui “ne souhaitaient pas forcément porter plainte sur-le-champ”, explique-t-elle, même si courrier recommandé ou dépôt d’une main courante avaient pu suivre. “Beaucoup pensaient que c’était perdu par avance ou qu’on leur proposerait des dommages-intérêts, ce n’est pas ce qu’ils cherchent.”
Plaintes simultanées
Les dénonciations du livre Les Fossoyeurs ont modifié la donne et conduit plusieurs de ces familles à sauter le pas, saisir la justice. Surtout, “le livre a agi en lanceur d’alerte”, dit l’avocate, et libéré la parole, les demandes qu’elle reçoit depuis l’explosion de l’affaire Orpea dépassant le cadre de ce géant du secteur. “Il y a une partie Orpea, Korian, notamment, certains courriers viennent de l’étranger, et une autre partie qui concerne des salariés qui jusque-là se taisaient par peur de perdre leur place ou de ne jamais en retrouver.”
Sarah Saldmann entend déposer simultanément une somme de plaintes individuelles apte à peser sur Orpea. Laquelle s’appliquerait face à de simples individus à “vous prendre de haut. Ils vous rient au nez, nient les faits, vous invitent à saisir la justice.” Cette fois, justement…
L’autoévaluation fiable ?
Sans pareils faits, sans “événement indésirable grave” à remonter eux-mêmes aux autorités, les Ehpad sont astreints à leur communiquer une autoévaluation tous les cinq ans et deux évaluations externes par période de quinze ans. “L’évaluation est contractualisée entre un commanditaire, l’Ehpad, et un prestataire habilité. C’est d’abord un contrat commercial”, pointe Thierry Lamour, évaluateur externe certifié. Ce contrat ne garantit pas l’indépendance du prestataire, fait peser sur lui “une pression”.
Le renouvellement des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens entre Ehpad, Département et ARS est une autre occasion de vérifications “sur site et sur pièces”, ajoute Frédéric Dhivert. Mais finalement, “tant qu’on n’entend pas parler de vous, vous n’êtes pas contrôlé”, lâche-t-on dans un Ehpad.
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Ajoutons qu’il n’appartient pas aux administrations d’évaluer l’éventuel écart entre le prix de la partie hébergement et le service, qui ressort de la relation contractuelle résident – Ehpad, et le “tableau” est percé d’interstices où l’indignité, la maltraitance physique ou psychique peuvent survenir en silence.
“Cette affaire doit réinterroger la dérégulation du secteur”, estime Nicolas Julien, le directeur adjoint des Solidarités au Département du Gard. Interroger la place de l’inspection-contrôle, “dont le volume a largement diminué dans les vingt dernières années”, et le nombre de personnels qui y sont affectés, ajoute-t-il : “L’autoévaluation et la contractualisation, ça fonctionne avec des gens qui veulent bien faire.”
Manque de moyens
“On pourrait de manière incontestable imaginer davantage de contrôles, admet Pierre Ricordeau. C’est une question d’équilibre entre les objectifs et les capacités. Cet équilibre est-il adapté ? Probablement pas, la question est légitime d’augmenter cette capacité et les moyens alloués.”
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Il semble “évident”, juge l’ex-ministre Michèle Delaunay, que les pouvoirs publics ne pourront pas en faire l’économie, comme devra aboutir “vite” la réforme des évaluations internes et externes. Outre qu’elles seront uniquement externes et que l’indépendance de l’auditeur sera assurée, “le point clé en sera un référentiel basé sur les recommandations des bonnes pratiques professionnelles”, explique Thierry Lamour. Une bible de la Haute Autorité de santé qu’il ne sera plus question d’ignorer.
La “culpabilité” de Michèle Delaunay
“Je regrette de n’avoir pas été attentive au point qu’il aurait fallu, soupire Michèle Delaunay. Durant ces deux années de ministère, j’ai reçu des signalements de dysfonctionnements, mais pas de maltraitance. Je m’en réjouis et à la fois je m’interroge qu’ils ne soient restés sous silence.” Michèle Delaunay, déléguée aux personnes âgées sous le gouvernement Ayrault, ne cache pas son sentiment de “culpabilité. J’ai visité des Ehpad, j’ai fait confiance.”
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