La souveraineté vaccinale nationale et continentale est un objectif pour le Maroc porté par la plus haute autorité du pays. Le Roi Mohammed VI veille de près sur l’avancement du projet dont il a donné le coup d’envoi de la partie industrielle en janvier dernier.
La stratégie marocaine s’articule autour de trois phases (voir infographie à la fin de l’interview) complémentaires permettant au Maroc de concrétiser l’ambition de couvrir ses besoins propres et jusqu’à 60% des besoins continentaux de certains vaccins prioritaires dès fin 2023.
« C’est un projet maroco-marocain, porté par l’Etat marocain. Un projet ambitieux auquel participent les forces vives du pays », insiste Samir Machour, membre du comité de direction de Sensyo Pharmatech et par ailleurs executive Vice-Presdient & Chief Quality Officer de Samsung Biologics.
Le projet royal n’inclut pas seulement la construction de l’usine de Benslimane
Ce dernier nous explique dans cet entretien les contours de ce projet, son état d’avancement ainsi que l’importance de sa portée africaine.
Médias24: Où en est le projet ? Quelles sont les avancées enregistrées depuis le coup d’envoi donné par le Roi Mohammed VI en janvier dernier ?
Samir Machour: Je tiens d’abord à préciser que le projet qui exprime la vision de Sa Majesté, que Dieu l’assiste, n’inclut pas simplement la construction de l’usine de Benslimane. C’est un projet qui est sur trois étapes. Cela concerne une souveraineté vaccinale et sanitaire globale. Donc la partie industrielle à elle seule, n’est qu’un élément, elle ne résume pas notre ambition.
Ceci dit, la partie industrielle notamment l’usine de Fill & Finishappelée « Lion 1 » que nous sommes en train d’installer à Benslimane avance à grands pas sur les trois principales parties : l’usine, les équipements et l’infrastructure. L’usine est construite en Chine par un groupe japonais. Nous sommes à 60% d’état d’avancement.
Fill & Finish : opération de répartition du produit et de son conditionnement
– Quand vous dites que la construction de l’usine se fait en Chine, qu’est-ce que cela veut-il dire ?
-Fabriquer un vaccin se fait dans des salles blanches avec des normes strictes notamment en matière de stérilisation. Si on souhaitait construire nous-mêmes ces salles blanches, cela aurait pris au mieux deux ans sinon trois ans.
Mais là, il y a un cas d’urgence. Donc on a opté pour ce qu’ont fait des géants pharmaceutiques, la construction en modules. L’usine est construite à partir de ces modules. Du moment que notre première usine ne concerne que le Fill & Finish, les salles blanches ne représentent qu’une partie de l’usine. Et c’est cette partie qui est construite en Chine. Nous l’avons externalisée pour aller vite. Au Maroc, nous construisons tout le reste (l’administration, les zones de stockage, contrôle qualité,…).
– Qu’en est-il des équipements et de l’infrastructure ?
-Les équipements aseptiques de très haute qualité technologique sont en cours de mise en place en Chine par un opérateur connu mondialement. Sur cette partie, nous sommes à 35% d’avancement.
Sur la partie infrastructures qui est réalisée au Maroc, la gestion du projet est confié à JESA. Ce dernier supervise l’avancement avec plusieurs partenaires et parties prenantes au projet.
– Quelle sera la capacité de production de cette unité ? Quand les premiers lots seront-ils produits ?
-L’unité Lion 1 sera dotée de trois lignes de production. La première ligne est dédiée aux flacons liquides. La deuxième aux flacons lyophilisés. Et la dernière ligne concerne les seringues préremplies.
Les premiers lots d’essais des deux premières lignes seront produits à partir de juillet 2022
Nous avons choisi ces trois technologies pour être capables de toucher à tous les formats de vaccins que nous envisageons de fabriquer au Maroc. Sur les deux premières lignes, nous sommes sur un état d’avancement de 35 à 40 %. Pour la troisième ligne de production, nous sommes à 10%.
Ceci dit, les équipements ainsi que l’usine, doivent être finis en Chine d’ici fin avril 2022. Ils seront ensuite envoyés au Maroc et s’en suivra alors toute une démarche pharmaceutique notamment la qualification, la validation,… Il s’agit des bonnes pratiques de fabrication qui vont faire en sorte que l’usine soit prête.
Ainsi, les premiers lots d’essais des deux premières lignes seront produits d’ici fin juillet 2022. La ligne PFS (seringues) sera, quant à elle, prête fin août 2022.
Fin 2022, la capacité installée sera de plus de 120 million d’unités (flacons et seringues) avec une production possible de plus de 400 millions de doses. Il faudrait savoir par contre que la période Juillet-Decembre 2022, sera une période de démarrage et donc l’usine, même ayant cette capacité ne pourra pas forcément l’exploiter dans son ensemble.
L’ambition est d’aller au-delà de cette capacité de production et nous visons d’attendre 900 millions d’unités.
Dès la fin de cette année, le Maroc aura une capacité installée une capacité installée de plus de 120 million d’unités (flacons et seringues) avec une production possible de plus de 400 millions de doses.
– Le vaccin Covid est le premier vaccin que le Maroc va produire. Le démarrage se fait avec le vaccin inactivé, notamment Sinopharm. Vous avez déclaré que le Maroc négocie la production de deux vaccins à ARNm. On peut avoir plus de détails sur ça ?
-Nous sommes en cours de discussion avec plusieurs laboratoires afin d’acquérir les droits de transfert de technologies du Fill & Finish et du vrac vers le Maroc de plusieurs vaccins covid et autres. En ce qui concerne les plateformes ARNm, nous discutons avec plusieurs partenaires sans éliminer aucun
Nous sommes en discussion pour produire des vaccins à ARNm
– L’ARNm est une technologie nouvelle dans le monde. Comment le Maroc se prépare-t-il techniquement pour assurer une bonne qualité?
-C’est vrai qu’il s’agit d’une plateforme technologique nouvelle, mais elle n’est pas difficile. Elle n’est pas compliquée d’un point de vue industriel. Fabriquer un vaccin à ARNm est beaucoup plus simple et plus rapide que de fabriquer un vaccin inactivé.
– L’usine marocaine est donc adaptée pour la production à la fois des vaccins inactivés et à ARNm ?
-Nous ne produisons pas encore le vrac où la fabrication d’un vaccin inactivé est différente du vaccin à ARNm. Lors de cette étape, nous faisons essentiellement du Fill & Finish. Dans ce cadre, je rappelle que nous recevons le produit vrac (Bulk). Au lieu de recevoir ce vrac à une température entre 2° et 8° pour le vaccin inactivé, nous le recevrons à une température de -60°. Les équipements et le remplissage sont les mêmes. C’est la démarche qui est différente. La chaîne de froid lors du processus de remplissage d’un vaccin ARNm doit rester entre -60°et -20° le long du processus et la vitesse de ce remplissage, ainsi que la partie packaging sont très importants.
– Justement le projet marocain comporte une deuxième unité industrielle, « LION 2 », qui a pour objectif la production du vaccin du liquide. La cible de produire jusqu’à 20 vaccins différents dont 3 ou 4 anti-covid. Quand celle-ci sera-t-elle opérationnelle ?
-Tout le monde est actuellement concentré sur l’usine Lion 1 du Fill & Finish en priorité. Ceci dit, l’objectif est qu’en 2023, l’usine Lion 2 soit en place. Le travail relatif à cette usine va démarrer dès cette année. Sur l’objectif des 20 vaccins, il faut cibler les vaccins stratégiques ou prioritaires pour lesquels le Maroc veut avoir une maîtrise complète de A à Z et ceux pour lesquels on reste sur le schéma d’achat du vrac et de processus de conditionnement local.
Mais en règle générale, tous les vaccins qui seront ramenés au Maroc le seront dans le cadre d’un transfert de technologie complet. C’est cela l’objectif à terme. Le Maroc ne veut plus continuer à importer le vaccin à 100% et ne compte pas se suffire à faire du Fill & Finish. Sa Majesté le Roi souhaite une souveraineté vaccinale et sanitaire.
– Quels autres vaccins le Maroc ambitionne de produire?
-Il y a des vaccins que l’on connaît, qui sont classiques comme le vaccin contre l’hépatite B pédiatrique et adulte, par exemple. Il y a le vaccin anti-grippe, celui contre la polio, contre la rage ou encore le rotavirus atténué. Il y a aussi les vaccins contre le pneumocoque, HPV, la diphtérie, la rougeole, rubéole,…
Il s’agit donc de la majorité des vaccins que le Maroc et le continent africain consomment. Tout cela est en réflexion. Mais ce qu’il faut retenir, c’est que le Maroc est aujourd’hui capable de conclure des accords de transferts de technologie complets et de les faire aboutir. Et puis nous allons renforcer cette partie avec le volet académique. Il y a des poches de développement de R&D dans certaines universités qui nous permettront de parachever la vision globale de SM le Roi. Cette partie est la plus importante car elle va pérenniser tout le projet.
– Cette partie c’est la phase 3 intitulée projet Dakhla…
-C’est un peu le vaisseau amiral de toute la stratégie, car il assure la pérennité. Concrétiser la vision de Sa Majesté d’avoir une souveraineté nationale et continentale solide passe par la capacité à développer nous mêmes les médicaments du futur.
D’ici fin 2023, le Maroc sera capable de subvenir à au moins 60% des besoins du continent sur les cinq vaccins dont l’Afrique a le plus besoin.
– Tout au long de notre échange, la dimension africaine est présente dans la stratégie et la vision. L’ambition est de répondre à 60% des besoins du continent africain en vaccins. A quel horizon ?
-Sa Majesté le Roi a toujours eu une vision africaine et continentale même hors pandémie et ses répercussions. Le projet Fox (intitulé de la stratégie avec ses trois phases, ndlr) est une continuité logique de cette vision.
Nous sommes 36 millions de Marocains, on ne peut pas établir une force de frappe industrielle d’une capacité de production en milliards de doses sauf si la vision continentale est présente dès le départ. Elle peut même être mondiale, rien ne nous empêche de fabriquer pour de grandes firmes pharmaceutiques en Argentine, au Brésil, en Australie ou ailleurs et d’être une porte d’entrée sur la Supply Chain en Afrique.
L’Afrique fabrique moins de 1% des vaccins qu’elle consomme. La vision africaine se définit comme objectif que l’Afrique soit capable de subvenir à 60% de ses besoins en vaccins d’ici 2040. Pour fabriquer des vaccins, il y a plusieurs prérequis dont la partie réglementaire et la partie Supply Chain, … Des domaines complexes en sachant qu’il y a beaucoup de différences entre les pays africains. Il y a toute une infrastructure à réfléchir et à construire sur le continent. C’est pour cela que l’Afrique s’est donnée jusqu’en 2040.
Au Maroc, nous n’allons pas attendre 2040. Le Maroc va aller avec une grande vitesse là-dessus. En juillet 2020, quand on a fait la présentation devant SM le Roi, le Maroc ne fabriquait aucun vaccin à usage humain. Aujourd’hui, nous faisons du Fill & Finish d’un vaccin anti-Covid et juillet prochain, soit un an plus tard, le Maroc va démarrer la production de vaccin. Et un an après, le Maroc disposera d’un portefolio de 15 à 20 vaccins dont la partie production du Bulk. Donc en deux ans, on aura fait un saut d’une quarantaine d’années.
D’ici fin 2023, le Maroc sera capable de subvenir à au moins 60% des besoins du continent sur les cinq vaccins dont l’Afrique a le plus besoin.
– Pour résumer quelles sont les dates clés des prochaines étapes à retenir ?
-Les voici:
Juillet 2022 : mise en place des deux lignes production (liquide et lyophilisé).
Aout 2022 : mise en place de la ligne des seringues préremplies.
Octobre /novembre 2022 : production des lots industriels de validation.
Fin 2022 : démarrage de la fabrication des lots industriels.
2023 / 2024 : Au cours de ces deux années nous allons élargir le portefeuille de vaccins fabriqués au Maroc. Elle sera marquée par les transferts de technologies. Au fur et à mesure, on transfère et on fabrique. Et dès que la fabrication est assurée, on arrête l’importation.
Le Roi préside le lancement des travaux de l’usine de fabrication de vaccins à Benslimane
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